
Que ce ne soit plus le moment
« Je ne suis jamais rentrée de cette forêt. Celle que je suis devenue est inventée. »
« Faire semblant d’obtempérer. Adopter ses mots, son système de pensée, le rythme de son pas. Ne pas donner l’impression de se soumettre. Décider. »
« J’entendais encore cette phrase : vous vous en êtes bien sortie. »
« J’avais donné le ton, « rien de grave ». Je l’ai répété autant qu’il le fallait. »
« À cause de toute cette douceur, à cause de mon visage que j’ai détesté pour cette douceur, la douleur n’est pas apparue. Évanouie. Ou invisible. »
« J’ai consommé davantage d’énergie à ne pas inspirer de la pitié qu’à lutter contre mon propre mal. »
« J’écris la lettre. Mon amie pénaliste la lit et me fait recommencer : « Ce n’est pas ton procès. » »
« La portée de ma voix se limitait à ceux qui étaient tout près. Ceux qui voulaient bien m’entendre parler tout bas. C’était ainsi depuis l’enfance. »
« Je ne pouvais plus échapper à mon histoire, sa vérité que j’avais trop longtemps différée. J’avais attendu non pas le bon moment, mais que ce ne soit plus le moment. »
Elle a 19 ans quand un promeneur l’arrête pour lui demander de l’aide. Elle est à vélo, il a perdu sa gourmette.
Très vite s’installe quelque chose qui n’est ni de la sidération, ni du déni.
Que faire d’une douleur fantôme, qui ne se laisse pas saisir, qui ne donne lieu à aucune conduite à risque, aucune rupture nette, qui ne surgit nulle part alors qu’elle est infiltrée partout ?
Que dire quand, douze ans plus tard, votre agresseur est arrêté, et qu’il faut nommer et quantifier cette douleur, ces dégâts ?
Dans « Parle tout bas », paru en 2021, Elsa Fottorino raconte les plafonds bas des commissariats, l’expertise psychologique à laquelle on refuse de se prêter, l’argent qu’on repousse, le procès auquel on ne se rend pas, l’ambivalence de tout. « Ne rien savoir » et « tout savoir ». Souffrir et ne pas souffrir. Déterminer ce qui, dans une vie, procède d’un traumatisme ou de la vie elle-même. « Ces espoirs déçus. Ces rêves qu’il faut retailler aux contours du réel. Nous sommes tous confrontés à cela. Moi pas plus qu’une autre. »
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