Je ne savais pas quoi faire de la tombe, au début. Quelle posture physique, quel ton adopter. Face à la dalle de granit sous laquelle repose mon père, faut-il me tenir debout ou courbée, les mains dans le dos ou les bras croisés ? Est-ce que je dois lui parler dans ma tête, en chuchotant, à voix haute ? Seule ou devant témoin ?
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Je n’avais pas réalisé jusqu’à lui. Les autres deuils, les autres tombes, ce n’était rien, pas même un brouillon.
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Au bout de quelques visites, jamais planifiées, toujours finies en larmes, je prends mes marques. Des trucs sortent de ma bouche que je n’anticipe pas, détails du quotidien, plans sur la comète, et parmi eux celui-ci : « Je te promets de la vivre cette vie, de la vivre bien. »
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Mon père est mort un mois plus tôt, en me reconnaissant encore malgré Alzheimer, à 87 ans. J’en ai 43 et demi, je suis exactement à la moitié du chemin. Et c’est moi qui ne me reconnais plus.
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76 kilos c’était un temps le poids de mon père, et maintenant c’est le mien. Le transfert est achevé, je l’ai incorporé.

C’est un hasard bien sûr, que ça ait coïncidé avec ses premiers symptômes, « perte de repères dans le temps et l’espace ». Parallèlement, j’avais moi-même une hygiène de vie justifiant largement de m’alourdir.

Mais le symbole est séduisant. Incorporer mon père, sachant qu’il allait se désagréger lentement sous mes yeux.

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« 76 kilos », c’est mon nouveau livre en ligne sur Kessel.
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Chapitre 1 – UN POIDS D’HOMME – Paru le 15 septembre 2024

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