Trouver les mots justes ce n’est pas se mettre en quête du vocabulaire le plus sophistiqué, des tournures les plus élégantes. Quand je cherche les miens, et que j’aide mes élèves à trouver les leurs, j’insiste particulièrement – cela fait l’objet d’un exercice dédié dans mon atelier – sur la vitalité qu’amène la langue orale à un texte. Parce qu’elle nous connecte au vivant, au son, à la langue d’une région, d’un métier, d’un milieu, d’une classe sociale.

Pour écrire ce roman d’une violence inouïe, le chroniqueur judiciaire Dimitri Rouchon-Borie a inventé une langue. Celle d’un héros longtemps illettré, dont le rapport au monde est façonné par l’absence de mots et par la prééminence des sensations.

Lorsqu’il débarque à l’école, il ignore jusqu’à son propre prénom, l’usage d’une table, d’un lit, de couverts pour manger. Parce qu’il a été élevé à même le sol avec ses frères et sœurs, comme un animal. Et brutalisé de toutes les manières possibles par les « ombres » ces silhouettes dont il mettra longtemps à comprendre que ce sont ses parents. Parents qui, eux, mangent à table, ont une chambre à coucher et une télévision.

« Le démon de la colline aux loups » pourrait être insoutenable et pourtant. Son travail sur l’oralité, sa ponctuation qui vole en éclats, sa poésie primale, c’est ce qui nous fait accepter et embrasser ce récit. Même quand il devient crépusculaire, interrogeant la frontière entre l’humain et l’inhumain, l’inné et l’acquis. En nous parlant davantage de fatalité que de résilience.

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« Le Démon de la colline aux loups », par Dimitri Rouchon-Borie, éd. Le Tripode (lire d’autres extraits ici)

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2 Comments

  1. Sunny

    9 septembre 2021 at 19h53

    Ni oui, ni non. Je tourne autour depuis ce matin, est-ce que je peux encaisser cet univers sans chavirer ? Et puis là soudain sous mes yeux cette info  » la jeune femme vivait « dans ses excréments dans une pièce aux fenêtres clouées par des planches de bois dans une maison dégoûtante, sans eau ni électricité ». Elle vient d’échapper aux sévices de sa mère, ici là maintenant en Charente maritime !!! Ce n’est plus une fiction mais une réalité qui adoube et nourrit ce que raconte ce livre. Ces deux là devraient se rencontrer.

  2. Lalibellule67

    17 septembre 2021 at 16h06

    Merci pour ce conseil livre qui fait très envie!
    Ça m’évoque le livre « Room » d’Emma Donoghue que j’avais adoré et dans lequel l’autrice a elle aussi créé une sorte de langage pour son petit héros.

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