Dans « L’affaire Margot » de Sanaë Lemoine, un des personnages vit une humiliation profonde lorsqu’en classe, un professeur lui reproche de copier l’écriture d’une camarade, la forme de ses lettres, leur emprise sur le papier.
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J’ai repensé à ce passage en tombant sur ce cahier de latin, 3 jours plus tard, chez mes parents. Dans ma chambre de jeune fille restée intacte à l’étage, et que je me promets de vider depuis 10 ans.
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Rien ne m’était familier. Ni le cahier lui-même (un vieux Clairefontaine vert pomme) ni mon écriture.
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Mon nom et celui de mon collège étaient pourtant bien là, sur la page de garde. Mais c’est comme s’ils avaient été inscrits par une étrangère. C’est là que je me suis rappelée de Claire.
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Des après-midis passés l’une chez l’autre, de ces petites lunettes qu’elle replaçait sous sa frange blond cendré, de ces interlignes dans lesquels elle insérait des lettres d’une régularité parfaite, des compliments de ma mère quand elle voyait ses copies.
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Je l’avais suivie dans le collège qu’elle avait choisi. Et jusqu’à la 3ème, j’ai cherché, moi aussi, l’harmonie que je voyais chez Claire. Sans jamais y parvenir, comme en témoigne le mélange de styles qu’il y a dans ce cahier, les cursives se mêlant aux scriptes, ces f et ces g quasi gothiques cohabitant avec des capitales d’imprimerie.
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Le personnage de « L’affaire Margot » a de bonnes raisons de travestir son écriture. Adopter la graphie d’une autre augure de son métier futur : ghost writer, ces nègres qui servent de porte-plume à leur interlocuteur, et accouchent de leur récit à leur place.
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Comme elle, j’ai gardé des traces de cette adolescence graphique. Mon écriture d’adulte est plus fluide, mais mélange toujours cursives et scriptes, majuscules avec ou sans empâtement. En un charabia sans cohérence mais qui n’appartient finalement qu’à moi, tant il est imprévisible.
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Difficile d’y voir une simple affaire d’encre et de papier. Même si je rédige de moins en moins à la main, cette exploration graphique préfigurait aussi mon avenir professionnel. Ce pont que j’établis sans cesse, en tant que journaliste, auteur et coach d’écriture, entre ma voix et celle des autres.

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« L’affaire Margot » de Sanaë Lemoine (éditions Eyrolles)

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